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LONDRES

Dans une station du métro de Londres

2011

Putney Bridge




Dernièrement, lors d'un séjour à Londres, mes yeux se sont arrêtés tout naturellement sur une carte du réseau métropolitain de la ville. Fasciné sans doute par cette multitude de lignes de toutes les couleurs dont je ne sais combien de tensions, courts-circuits ou coups de foudre elles provoquent chaque jour, je me sentis déjà en balade, rien qu'à l'observer, quand bien même mes jambes n'avaient pas encore fait un seul pas. Puis, ayant probablement tant dévoré cette carte des yeux, je finis par entrer dans une des bouches de ce même métro, comme happé ou dévoré à mon tour.

Souhaitant me promener le long de la Tamise, tout en échappant à la foule oppressante du centre de la mégalopole, je descendis à la station Putney Bridge, une de ces stations à l'air libre, qui lorsqu'elles émergent de l'obscurité souterraine nous rappelle, le temps d'un instant magique, toute la beauté de la lumière du jour.

Sortant de la rame, je me dirigeai vers un escalier de sortie mais je m'aperçus bien vite qu'une porte métallique l'avait barrée. Il y avait bien un autre escalier sur le même quai que je m'empressai de rejoindre mais c'était pour me rendre compte une ou deux minutes plus tard qu'il était lui aussi fermé et exactement de la même manière que le premier. A une dame qui s'approcha et qui était la seule personne avec moi sur le quai en ce moment, je dis que l'autre escalier n'était pas accessible non plus.

Cela ne pouvait être que temporaire, très bientôt quelqu'un viendra ouvrir la grille et de toutes façons, d'une minute à l'autre, une autre rame viendra, débarquant d'autres voyageurs avec peut-être, parmi eux, quelqu'un muni des clefs des portes, je ne pouvais pas m'imaginer autre chose.

J'avais raison d'être optimiste car au même moment, j'entendis de l'autre côté de la plate-forme les premiers frémissements d'une rame et me sentis presque soulagé en la voyant s'approcher. Je dus cependant rapidement m'en éloigner car lorsqu'elle arriva près du quai, sa vitesse entraina tant de bruit et de vent qu'il fallait impérativement s'en distancer. Je compris ainsi pourquoi la rame allait si vite, elle n'avait pas l'intention de s'arrêter et ne s'arrêta pas. J'espérai encore voir quelqu'un de l'autre côté des voies où se trouvait un autre quai mais je n'y vis pas âme qui vive.

Un peu plus tard, un autre métro arriva, en direction de Wimbledon, le terminus de la ligne, tout comme celui que j'avais pris. A ma grande satisfaction, je vis descendre une dizaine de voyageurs et dis à deux ou trois d'entre eux que les deux sorties de la station étaient fermées. Un homme muni d'un revêtement de sport tenta d'ouvrir de toutes ses forces une des portes mais n'y parvint pas. Parmi les passagers, certains ne cachaient pas une certaine irritation tandis que d'autres se disaient qu'il valait mieux en rire. -Je descends à cette station tous les jours depuis trente-sept ans dit un homme à la barbiche poivre et sel, jamais je n'ai expérimenté cela. Un homme d'une quarantaine d'années, cravate ajoutait qu'il avait un entretien d'embauche dans une quinzaine de minutes et qu'il ne pouvait se permettre d'être en retard alors qu'il venait de reposer ses lunettes noires sur les oreilles de son crâne dégarni. La plupart des voyageurs cependant ne réagirent qu'en sortant leur GSM. Puis, une voix peu audible provenant d'un haut-parleur présenta ses excuses pour l'inaccessibilité des deux sorties du quai ajoutant que tout sera mis en ouvre pour ouvrir les portes au plus vite sans toutefois préciser le moindre délai. Mais quelques minutes plus tard et quelques dizaines de passagers de plus sur la plate-forme, les portes étaient toujours aussi closes tandis que l'autre quai que je n'avais cessé de scruter du regard était toujours aussi vide.

Finalement, lorsqu'une autre rame approcha, j'y montai jusqu'à la station suivante, East Putney, me disant que cela ne changera pas beaucoup le cours de ma balade. J'avais été bien idiot de ne pas y avoir songé plus tôt, pensais-je encore.

A présent je suis rentré chez moi à Bucarest. Parfois, je me demande encore pourquoi donc ces deux portes avaient été fermées et si depuis lors, elles ont été rouvertes; si la foule qui gonflait de plus en plus lorsque je le l'ai quittée, n'a pas enflé davantage encore, si certaines personnes n'ont pas suffoqué par manque d'espace ou ne sont pas mortes de faim ou de soif en attendant désespérément l'ouverture des portes, si quelqu'un ne s'était pas blessé ou tué en tentant de traverser les voies.