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MANCHESTER

Conversation avec un écureuil I

2000




L'autre jour, je n'ai pas été travaillé. Ce n'est pas qu'une crise de paresse inopinée m'aurait cloué au lit jusqu'à deux heures de l'après-midi ou qu'une fièvre de malhonnêteté soudaine m'aurait fait passer pour malade alors que je rayonnais de santé. Non, non, je vous assure, j'étais bel et bien sorti de chez moi de grand matin avec l'intention bien ferme d'aller gagner ma croûte, de grand matin dis-je car il est toujours de grand matin lorsque je m'en vais travailler. J'avais bien emprunté comme chaque jour la Demesne Road pour rejoindre l'arrêt de bus mais à l'endroit précis où elle touchait à sa fin pour faire place à un piétonnier coincé entre le Parc Alexandra d'un côté et une station service Shell de l'autre, précisément à cet endroit donc, un écureuil gris m'arrêta net, de couleur grise, car à Manchester comme à Glasgow les écureuils sont gris.
-Bonjour Monsieur, ça ne vous dit rien cinq livres de noisettes?
-Pardon?
-On a un surplus de noisettes pour le moment, alors on cherche à s'en débarrasser, vous comprenez...
-Bien écoutez, j'aime bien les noisettes mais vous savez, cinq livres, je ne vois pas bien ce que j'en ferais...
-Bon deux livres alors..
-Heu! ... Heu! ... d'accord, mais combien vous dois-je.
-C'est très gentil de vouloir me payer mais je me passe d'argent moi... Par contre si..
-Par contre... oui...
-Ce parc est beaucoup trop petit pour nous. Ne pourriez vous pas l'agrandir, nous donner un peu plus d'espace... Et puis aussi faire taire tous ces canards, bruyants comme ce n'est pas possible et puis aussi tant que vous y êtes, il y a beaucoup trop de visiteurs qui passent par ici. Ce n'est pas du tout tranquille.
-Ecoutez, je crains bien ne pas pouvoir aider mais attendez...
L'écureuil me regarda intensément scrutant de ses petits yeux le mouvement de mes doigts tâtonnant le fond des poches de ma veste.
-Ecoutez, voilà ce que je vous propose. Ceci est mon badge, mon laissez-passer chez Shell, l'endroit où je travaille vous voyez. Je vous le donne pour la journée et moi je grimpe un peu dans vos arbres, de quoi prendre un peu de hauteur, peut-être trouverai-je là-haut une idée pour vous aider.
Aussitôt avais-je prononcé ces mots que l'écureuil m'arracha des mains le badge et s'encourut vers l'arrêt du bus 104 auquel deux minutes auparavant j'avais l'intention de me diriger. En l'observant courir, je me mis de mon côté à grimper aux arbres en remarquant qu'une fourrure grise me couvrait de plus en plus et en pensant aux employés belges et hollandais de Shell qui aujourd'hui appelleraient le helpdesk sans se douter le moins du monde que c'était avec un écureuil qu'ils allaient parler de leurs problèmes d'ordinateurs.


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