VIFSTORIES

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QUELQUES VILLES
QUELQUES HISTOIRES

LA CITE DES LIVRES

Berlin et les Livres

2004




Tu m'avais dit de quitter Mylos. Tu m'avais dit de visiter Berlin. J'ai quitté Mylos et j'ai visité Berlin.

Certes, je n'ai pas habité Mylos. Mais par cette dernière, tu entendais Stevenage, une ville du Sud de l'Angleterre dans laquelle j'ai travaillé un an et où mon sort était presque comparable aux travailleurs de Mylos. Littéralement enchaînés aux outils de production, ces derniers comme la route d'Armilia le raconte, finissent par faire partie des machines et en deviennent même; malheur à celui qui malgré tout voudrait rester humain comme le petit Friedrich dont les livres une fois découverts par ses supérieurs ont été jetés au feu. Tu m'avais dit de rester humain. J'ai quitté Stevenage, cette Mylos du Sud et suis retourné dans le Nord, près de Liverpool et du Pays de Galles.

Tu m'avais encore dit que la Cité des Livres passait par Berlin et que je devais m'y rendre. J'ai pris un vol Liverpool-Berlin et m'y suis rendu. Les livres ont droit de cité dans cette ville m'avais-tu dit. A la recherche du moindre signe, du moindre indice, peut-être même du moindre passage vers la Cité des Livres, j'ai traversé cette ville de bout en bout. J'ai commencé par les restes d'un mur, non pas un mur de livres mais un mur de béton. Il a fait coulé bien d'encre et sa chute il y a quinze ans a même ouvert un nouveau chapitre d'histoire que je ne pouvais passer à côté. Je ne pouvais rater non plus la rivière Spree dont j'ai enjambé ses nombreux ponts. Bien sûr, je me suis aussi rapproché des bibliothèques. Devant l'une d'entre elles, près de la Merhinglatz, j'ai aperçu une sculpture en forme d'arbre et en livres car composée de véritables livres. Peu après, en bordure de Tiergarten, le grand parc de la ville, j'ai visité la Staatbibliothek pendant plusieurs heures avant d'arpenter d'autre rangées interminables de livres à l'autre Staatbibliothek sur l'Unter den Linden, dans l'ancien Berlin-Est cette fois. Puis, à quelques mètres de là, j'ai franchi la porte de l'Université von Humbolt devant laquelle quelques personnes vendaient des livres.

Tous ces endroits devaient bien receler quelques secrets pensais-je. Mais à vrai dire, ni à l'Université, ni ailleurs, je n'ai entrevu quoi que ce soit qui pouvait me rapprocher de la Cité des Livres. Peut-être suis-je passé à côté de ce qu'il fallait voir, peut-être tout simplement n'ai-je pas les yeux qu'il faut. Que voulais-tu donc que je découvre ?

En quittant l'Université, j'ai parcouru les quelques mètres qui me séparait de la Bebelplatz. Sur cette place, le 10 mai 1933, le régime nazi brûla vingt-cinq milles livres d'auteurs considérés comme des ennemis du troisième Reich. Ne sachant plus où poser les yeux, j'y ai fait quelques pas avant que finalement, en son centre, mon regard se soit arrêté sur une vitre transparente à même le sol ; sous cette vitre, une pièce souterraine aux murs entièrement recouverts d'étagères toutes plus blanches et plus vides les unes que les autres et près de là, une petite inscription avec ces mots :

"Ceux qui brûlent des livres finissent tôt ou tard par brûler des hommes"
Heinrich Heine 1797-1856

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