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BADEN-BADEN

Attendre l'aube à Baden-Baden
ou
Nuit Blanche en Forêt Noire

2007

Baden-Baden Baden-Baden
Baden-Baden
dimanche 22 juillet 2007
6 heures du soir
Baden-Baden
lundi 23 juillet 2007
6 heures du matin


Une fin d’après-midi d’un dimanche de juillet, un homme qui ne parlait pas Allemand se retrouva presque par hasard dans la station thermale de Baden-Baden. Il venait de découvrir une partie de la Forêt Noire au volant de sa voiture et séduit par les lieux il chercha sans cesse un plus bel endroit pour s’arrêter. Puis, à proximité d’une clinique dans les hauteurs de Baden-Baden, il finit par abandonner son véhicule avant de se diriger à pieds vers un sentier sous les bois. Après avoir roulé si longtemps, l’homme n’avait plus qu’une chose en tête, prendre un grand bol d’air et profiter un peu du soleil qui aujourd’hui s’était montré généreux. Arrivé à un premier embranchement, il remarqua un autre chemin nettement plus escarpé, le prit sans détour et accéléra même le pas. L’homme était heureux de pouvoir se dépenser un peu et se sentit presque honteux qu’un soupçon de fierté ne vienne l’assaillir lorsqu’il dépassa un autre marcheur. Ce n’était pas dans ses habitudes de fournir un effort physique important, mais alléché par le sommet qu’il commençait à percevoir, il se sentait poussé dans son effort par une fièvre soudaine d’énergie. Arrivé à un autre embranchement, il pensa un moment faire demi-tour mais se laissa encore tenter par la vue du sommet pour finalement le franchir quelques minutes plus tard du même pas alerte. Il commença bien sûr par observer le panorama autour de lui puis remarqua une fontaine avec l’inscription « trinkwassen ». Se disant que cela ne pouvait pas signifier autre chose qu « eau potable », il se mit à en boire à grandes gorgées. Il monta ensuite au sommet d’une petite tour nécessaire sans doute pour ce qui semblait être à l’homme une espèce de téléphérique rampant et bâtie à deux pas de la fontaine. L’homme observa le panorama à trois cents soixante degrés qui s’offrait à lui. Quelques collines de conifères et de vignes sous un ciel bleu, ce n’était sans doute pas le paysage le plus extraordinaire qui lui était arrivé de contempler, mais parce que le soleil était de la partie, parce qu’il n’aurait sans doute pas de week-end loin de chez lui pendant longtemps, parce qu’il avait dû fournir un effort pour y parvenir, parce qu’il avait maintenant commencé à apprivoiser les lieux sentant l’espace tout autour de lui devenir peu à peu le sien et peut-être aussi parce que sa promenade était improvisée, pour toutes ces raisons et pour d’autres que vous ajouterez peut-être, l’homme appréciait le paysage autour de lui comme rarement il en avait apprécié un.

Au bout d’un moment rassasié et particulièrement détendu, l’homme décida de redescendre en revenant sur ses pas car il n’avait pas d’autre chemin qu’il pouvait prendre. Quelques minutes plus tard, il hésita légèrement entre deux sentiers situés à un embranchement facilement reconnaissable par deux sculptures en bois et représentant des sangliers. Sans trop hésiter, il prit le sentier sur sa gauche pour déboucher une quinzaine de minutes plus tard devant une cabane en bois qu’il n’avait pas aperçue lors de son ascension. Il y lit les inscriptions et se dit qu’il devait s’agir d’un élevage d’animaux, puis aperçut ce qui lui sembla être quelques chevreuils ou quelques marcassins à une dizaine de mètres de la cabane. Ne s’attardant pas il prit ensuite un chemin qui sortait des bois mais au lieu de retomber sur l’endroit où il avait laissé sa voiture comme il espérait, il déboucha sur la terrasse d’un restaurant. Ennuyé, il tenta de retrouver le chemin de son véhicule par la route, tenta plusieurs directions mais aucune ne lui sembla mener à l’endroit où il l’avait garé. Commençant à s’inquiéter, il demanda en anglais le chemin d’une clinique car l’homme se rappelait avoir laissé son véhicule à proximité d’une clinique. On lui conseilla de descendre la route, ce qu’il fit mais rebroussa vite chemin car il se dit qu’il ne pouvait avoir garée sa voiture aussi bas. Il reprit alors le chemin sous les bois mais n’y retrouva pas non plus le sentier pouvant mener à son véhicule, y ressortit une fois encore, retomba sur la terrasse du restaurant et ne vit plus d’autres solutions que d’y entrer et d’y demander son chemin. La serveuse ne comprenant pas bien l’anglais de l’homme le mit en liaison avec un client attablé à la terrasse. Un homme plein de bonhomie lui proposa très vite et très gentiment de lui offrir un lift.

-Non, non ne soyez pas désolé lui dit-il à peine rentré dans son Mercedes Monospace. L’homme à la Mercedes s’arrêta devant plusieurs cliniques de Baden-Baden mais aucune ne rappelait à l’homme l’endroit où il avait garé son véhicule. Plein de bonne volonté, il posa encore bien des questions pour aider l’homme à se remémorer les dernières rues qu’il aurait empruntées en voiture avant de s’être arrêté pour marcher mais l’homme ne put répondre à aucune d’entre elles. S’il avait encore un peu en mémoire les sentiers qu’il avait empruntés, il ne se rappelait en rien les routes qu’il avait traversées au volant de son véhicule. Comment avait-il pu être si inconscient pensa-t-il alors que son conducteur redoublait d’effort pour l’aider. Comment avait-il pu partir sans sac, sans veste, sans bouteille d’eau, sans téléphone portable, sans garder à l’esprit au moins un indice pour retenir où il avait laissé sa voiture se dit-il inquiet de voir l’obscurité s’imposer de plus en plus. Son conducteur avait beau lui avoir dit de ne pas se sentir désolé, c’est quand même pour le moins contrarié et peu fier qu’il lui demanda de le reconduire à l’endroit du restaurant pour qu’il puisse reprendre ses recherches à partir du sentier. L’homme reprit alors ce dernier mais rebroussa vite chemin une fois encore, jugeant cette fois trop dangereux de s’aventurer sous les bois alors que la nuit était tombée. Il ne pouvait d’ailleurs y distinguer quoi que ce soit. La Forêt Noire ne s’appelait pas Forêt Noire par hasard se dit l’homme rétrospectivement. Repassant par le restaurant il demanda par acquis de conscience si ce dernier n’avait pas de chambres car l’homme n’avait pas d’endroit où loger à Baden-Baden. Il avait bien une chambre d’hôtel mais celle-ci était à Strasbourg. Devant la réponse négative de la serveuse du restaurant, il prit le chemin du centre de Baden-Baden en ressassant le nom du restaurant, « Weinstube-Eckberg », car il voulait s’assurer qu’il ait au moins un point de repère lorsque le lendemain il devra reprendre sa recherche.

Baden-Baden avait beau être célèbre pour ses thermes bienfaisants connues par les grandes fortunes d’Europe depuis bien longtemps, l’homme, ne s’en retrouvait pas moins sans toit pour une nuit craignant de plus que l’humidité du canal qu’il devait longer pour se rapprocher du centre de la ville ne lui cause un refroidissement. Dans d’autres conditions, il aurait pu visiter les bains romains de la ville ou le musée d’art Kunsthalle ou encore remarquer que le chemin qu’il empruntait pour rejoindre le centre était la Lichtentaler Allee entourée d’arbres et d’arbustes de deux cents espèces différentes mais en ce moment il ne pensa qu’à passer la nuit de la manière la moins inconfortable qui soit. Sans même penser consulter l’horaire des trains pour Strasbourg, il se dirigea vers la gare située de l’autre côté de la ville espérant se reposer un tant soit peu dans une salle d’attente. A quelques centaines de mètres de la gare, il vit un signe menant à une auberge de jeunesse. Sans hésiter, il s’y rapprocha.

Il venait de passer minuit, la réception de l’auberge était fermée depuis une demi-heure mais l’homme put quand même y entrer et s’assit en s’étendant la tête sur une des nombreuses tables qu’il vit dans la salle de réception. Puis irrité par le tic tac inévitablement incessant de l’horloge et par la lumière blafarde des nombreux néons de la salle, il prit la cage d’escaliers et se coucha sur un banc de bois d’un corridor du premier étage. Vers quatre heures après avoir peu dormi et beaucoup gigoté sur son lit de fortune, il se leva et quitta l’auberge. Fermer la porte d’une auberge ne veut pas dire pour autant en être sorti se dit-il en prenant d’un pas décidé la direction du sentier. Quatre heures était une bonne heure pensait-il car même si il faisait encore nuit noire il vit cependant sur sa gauche le ciel s’éclaircir peu à peu. L’homme reprenait le chemin du centre de la ville quasiment désert en croisant sur son chemin un homme dont la démarche trahissait une évidente ébriété, puis une livreuse de journaux qui venait de déposer quelques journaux dans le sas d’une agence bancaire et qu’il effraya alors qu’il s’était arrêté juste à côté pour prendre quelques gorgées d’une boisson gazeuse au sucre et à la caféine. Un peu plus tard, il aperçut le long du canal de la Lichtentaler Allee, un autre homme, torse nu et gémissant sur un banc. Trop concentré sur sa recherche, l’homme ne se laissa pas distraire, trop conscient aussi qu’il ne devait pas seulement puiser en lui tout ce qu’il lui restait d’énergie mais aussi tout ce que son esprit rationnel pouvait lui apporter en de tels circonstances.

Une trentaine de minutes plus tard, il retrouva sans trop de peine la terrasse du restaurant et reprit sa recherche sous les bois et sous un ciel blêmi par l'affirmation de l'aube. N’ayant ni carte ni de quoi écrire, ne pouvant que compter sur sa mémoire, il était en effet obligé de retenir précisément chaque chemin qu’il emprunta et de tenter donc, tant bien que mal, de dessiner dans son esprit la carte qu’il n’avait pas dans ses mains. Le seul point de repère dont il était entièrement sûr était l’embranchement des sangliers mais il espérait ne pas devoir remonter si haut. Au premier croisement, il prit un chemin mais s’aperçut une dizaine de minutes plus tard que s’il débouchait bien sur une route, ce n’était pas l’endroit où il l’avait laissé son véhicule. Il fut alors demi-tour en s’assurant bien de retenir le chemin qu’il venait d’essayer pour qu’il puisse l’ajouter à sa carte mentale. Retrouvant le premier croisement il prit alors un autre chemin et vit une ruche à sa droite. Il se rappela que lorsqu’il avait commencé sa promenade, il en avait bien vu une et se mit à espérer vivement qu’il s’agisse bien de celle de la veille, puis voyant la lisière du bois se profiler et Baden-Baden émerger peu à peu à travers quelques arbustes il commença à se rassurer. Il marcha encore quelques minutes avant de rejoindre l’asphalte et d’être définitivement rassuré en voyant une court avec le drapeau « Mittelbaden Klinicum » et sa voiture à quelques pas de là. Il y entra et avec un soulagement plus que certain prit sans détour la direction de sa chambre d’hôtel à Strasbourg.