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Arrivée en Grande-Bretagne

2012




London Euston

Wolverhampton Station


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Wolverhampton, automne 2012

Cher Frank,

Comme tu sais, j'aime bien l'Angleterre. Il est vrai qu'il vaut mieux aimer ce pays lorsque tu décides d'y vivre pour la première ou pour la seconde fois. Imagine en effet qu'après plus de deux heures d'avion et une demi-heure de métro, tu arrives à la gare de London Euston et que montrant ton ticket avant de monter sur le quai pour Birmingham, on te dit que tu dois attendre la fin de l'heure de pointe. Tu avais, c'est vrai, dit au guichetier que le prix qu'il te proposait te semblait un peu cher. Lorsqu'on voyage, il ne suffit pas d'être armé de bagages, il te faut encore être armé de patience. Tu te trouves alors une place dans la foule pour t'asseoir et tu attends tantôt dans la station en remarquant qu'en fin d'après-midi les voyageurs qui quittent Londres ont le pas plus rapide et la mine plus tendue que ceux qui y entrent, tantôt devant la station un peu distrait et effrayé parfois à la vue de l'un ou l'autre petit rongeur qui comme les trains ou les rames de métro ont leurs tunnels bien à eux.

Mieux vaut encore avoir sa réservation d'hôtel en poche, lorsqu'une fois arrivé, tard le soir, à Wolverhampton au nord de Birmingham, tu te retrouves face à un réceptionniste qui te dit ne pas être au courant de ton arrivée. Il vérifie avec le patron, te dit ensuite "It is all right" et te demande d'attendre une dizaine de minutes dans un local sans éclairage. Une demi-heure plus tard alors que tu as entendu au-dessus de toi des mouvements de meubles auxquels tu as répondu par un mouvement frénétique de doigts sur la table et de pieds sur le sol, ce même réceptionniste te fait entrer dans une chambre en s'excusant non pour sa saleté mais pour sa lampe défectueuse. Tu essayes d'y ranger un tant soit peu tes affaires mais c'est bien difficile car tu n'imagines simplement pas déposer quoique ce soit dans les armoires, le seul passage d'un doigt dans le fond gluant et encrassé d'un tiroir te dissuade d'y entreposer quoi que ce soit. Tu sors ensuite pour trouver de quoi manger mais il est passé vingt-trois heures et tout, les rues comme les endroits où se sustenter t'apparaissent si déserts, fermés et sombres. Tu finis par entrer dans un take-away à la décoration criarde et à la lumière blafarde presque intrusivement éblouissante. Puis tu vas te coucher avant que l'acolyte du réceptionniste, évoquant la lampe qui ne fonctionne pas te fasse sortir du lit pour t'installer finalement dans une autre chambre un peu plus présentable.

Il faut encore bien aimer ce pays lorsque dans le froid précoce du mois de septembre et l'humidité typique de la Grande-Bretagne tu t'enrhumes en cherchant un logement alors que quelques jours auparavant tu étais sur une terrasse de Bucarest en train de faire tes adieux à une collègue. Tu dois encore te résoudre à opter pour un appartement non meublé tant les meublés sont rares. Tu passes alors un temps fou dans les magasins en commençant par acheter l'essentiel comme un lit ou une table puis l'important comme un canapé et petit à petit l'accessoire et tout le reste comme un panier à linge sale que tu achètes pour la première fois de ta vie. Comme te dit ton manager "to buy things is fun". Ce n'est pas faux, à chaque achat en effet, ton appartement devient de plus en plus ton vrai chez toi. Ce n'est donc pas plus mal un appartement non meublé.

Tu perds encore un samedi à attendre deux livraisons qui n'arrivent pas car les livreurs ne trouvent pas ton adresse ou ne peuvent te contacter par téléphone, occupé par tant de choses, tu songes à peine à régler ton GSM. Une de ces livraisons sera postposée au lendemain mais les livreurs au moment de sortir la commande du camion, une table encore toute ficelée dans une boite en carton, la laissèrent tomber à plat sur l'asphalte, sans trop de dommages heureusement. La machine à laver commandée plus tard arriva, elle, bien au jour prévu mais l'installation pourtant demandée n'eut pas lieu car, te raconte un des livreurs ils n'avaient pas la permission de garer dans ta rue et lui ou son collègue n'aura donc pas le temps de l'installer. Il ne te laisse d'ailleurs pas le choix que de l'aider à monter la machine au premier et à l'installer toi-même. Tu n'oublies évidemment pas de réclamer deux jours plus tard et tout naturellement les vingt livres que cette installation planifier t'avait coûtés. Tu préfères ne pas t'attarder sur les détails des deux premières machines que t'a lancées avec le tube des eaux usées penchée laissant les eaux sales de l'appartement du dessus se déverser dans ta cuisine. Tu l'avais déjà remarqué pourtant mais tu avais omis de le signaler au proprio, peut-être n'est-ce pas anormal penses-tu. Tu remarquas encore une prise récalcitrante qui interrompit la machine en plein fonctionnement. Finalement et ce n'est pas plus mal non plus, tout cela ne t'a coûté que du temps et tu peux à présent installer et faire fonctionner une machine à laver. Au bout du compte, cela ne te semble pas si compliqué.

Tu habites en plein dans le centre, ce qui est évidemment très pratique tant pour les magasins à deux pas que pour les transports. Tu vis encore modestement, ton appartement est petit, tu habites dans le bâtiment gris, à l'arrière du premier, ce n'est pas un traversant, tu as vue sur le toit et sur quelques façades à briques rouges. C'est un canapé-lit que tu as acheté, car tu as pensé aux invités éventuels. Tu ne te sens pas à l'étroit, tu te sens bien. Tu te passes de voiture car tout simplement tu n'en as pas besoin. Alors oui, tu es content d'être là. Tu te sens même parfois revitalisé comme si tu venais de boire un jus de fruits survitaminé. Et à-propos de nourriture, tu apprécies les céréales et le thé que ce pays peut produire, avec du lait et un peu de jus d’orange tu aimes ainsi débuter ta journée avant de te rendre à ton travail en saluant le froid, le vent ou la pluie.

Quant au travail justement, il est plus ennuyeux car répétitif que difficile ou stressant mais les conditions générales sont bonnes alors oui, tu as encore envie de t'installer. A vrai dire, tu as tant investi qu'il peut difficilement en être autrement. Tu travailles à Billson, tes collègues y travaillent mais aucun n'y vit, ils ne rateront d'ailleurs jamais une occasion de taxer cette localité de misérable, l'un d'entre eux s'y est même vu dérobé son GSM et un autre y a été agressé. Wikipedia raconte lui aussi bien des choses et comme si cela ne suffisait pas, cet endroit est infesté de rongeurs bien plus gros que ceux aperçus à Londres. Après les chiens de Bucarest les rats de Bilston sont là pour te rappeler ce qu'avoir peur veut dire. Pourtant, lorsque tu aperçois ces créatures grasses et velues rejoindre furtivement un buisson, risques-tu autre chose que quelques frissons.

Finalement, un week-end, tu prends le temps de te promener. Tu longes le Birmingham Main Line Canal de Wolverhampton jusque Birmingham. La fraicheur automnale te revigore. Tu prends photos sur photos et en les regardant par la suite tu te rends compte qu'il s'agit d'une balade bien moins monotone qu'il n'y parait. Les couleurs du ciel avec ou sans nuages sont infiniment variables, un pont peut-être bien différent d'un autre, un mur peut être un mur et rien d'autre mais aussi une façade d'un entrepôt, d'une maison ou tu ne sais même pas quoi car un mur qui ne cache pas quelque chose n'est plus vraiment un mur, la végétation peut être nue comme le terrain de tennis de Wimbledon après la finale ou au contraire luxuriante et intacte, tout cela te parait industriel ou campagnard, sombre ou bucolique, banal ou original mais presque toujours très reposant. Tu n'es pas loin de sentir monter en toi un soupçon de sérénité.

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On ne s'installe pas quelque part sans quitter un autre endroit. Ainsi, sans doute dois-tu quitter tes amis pour te rendre compte qu'ils le sont. Plus d’un t'ont demandé des nouvelles après ton arrivée en Angleterre. Tu leur as répondu. Tu espères bien sûr garder quelques contacts car si la Roumanie t’as donné quelques amis, ce n’était certainement pas fou d’y vivre pour un temps. Il y a aussi les amis que tu retrouves.

Ce n'est pas la première fois que tu viens vivre dans ce pays, c'est la seconde. Viens-tu ici pour revivre? Non, bien sûr, ce serait exagéré d'affirmer cela. Plus simplement, ce n'est que la vie et l'aventure qui se poursuivent et c'est cela qui importe.

Je serai en Belgique pour Noël. As-tu des nouvelles?

Amitiés

Vincent